Universitaire
(E.R)
Membre
de l’Académie française
Professeur
de langue et littérature grecques à la Sorbonne (1957-73)
Professeur
(1973-84) au Collège de France
Grande
croix de la légion d’honneur et de l’Ordre national du mérite.
Décédée
le 18 décembre 2010
ŒUVRES1 :
Elle
s’est attachée aux travaux de Thucydide et de l’impérialisme athénien, au
théâtre d’Eschyle et d’Euripide en particulier.
A
travers ces auteurs elle a recherché les méthodes d’invention de la démocratie,
celles de la conquête de la maitrise de la raison sur les passions des hommes,
celles de la garantie de la liberté par les lois, et le respect de la morale
non écrite dans la cité : préliminaires d’un ordre international.
Au
cours de sa longue vie et de son investissement personnel dans la transmission,
aux générations d’étudiants de la Sorbonne et aux chercheurs hellénistes du
Collège de France, de l’héritage de la culture et civilisation grecques dans
l’Athènes de Périclès, Jacqueline de Romilly a plaidé avec force
et conviction, à la fois dans l’écriture et dans la parole, animée par une
sorte d’élan irrésistible qui l’emportait, toujours maitrisé cependant par une
vive intelligence et une clarté d’esprit exceptionnelle.
|
Périclès, stratège et
homme politique athénien (vers 495)
chef du parti démocrate. Après
la paix de
Trente Ans avec
Sparte (446) il favorisa une
politique de réalisation culturelle et sociale (Acropole,
Pirée etc…)et mena une activité
intellectuelle brillante. Attaqué par ses adversaires, il dut payer une forte
amende mais retrouva la faveur du peuple. Il mourutde la peste en 429. |
Afin de
perpétrer sa mémoire, le mieux à faire pour moi est de lui redonner une
dernière fois la parole, post mortem, en reprenant la conclusion qu’elle avait
elle-même rédigée pour clore l’un de ses derniers ouvrages sur LA GRANDEUR DE l’HOMME, édité chez
Fallois en décembre 2010, comme une sorte de dernier testament intellectuel.
Sa conclusion
|
J. de
Romilly LA GRANDEUR DE L’HOMME au siècle
de Périclès Ed. Fallois 2010 |
L’enquête qui précède est évidemment bien
incomplète, elle retient de grands auteurs en prose ou en poésie, du Ve
siècle avant Jésus-Christ, mais elle ne les retient même pas tous et ne pousse
pas plus loin les choses. Elle ne parle ni de Socrate ni de Platon, pourtant si
importants pour l’œuvre d’épuration de la religion grecque qu’ils proposent, en
définissant le but de l’homme comme « l’assimilation à Dieu »
[Homoiôsis theôi, Platon, Théétête, 176B.] ; on ne parle pas non plus de
la riche évolution qui attendait cette morale de la solidarité humaine, de
l’indulgence et du pardon, qui donnera de si beaux développements chez
Ménandre, et plus tard chez Térence, morale qui se reflète ensuite dans tout un
aspect du christianisme ; on n’envisage pas non plus les diverses
doctrines philosophiques du IVe siècle et des siècles suivants,
cruciales pour la connaissance de l’homme et de la place qui lui est faite dans
l’univers. On peut, cependant, qu’avec la considération directe de textes qui
ont beaucoup compté pour moi, se dégage une idée assez nette de cette grandeur
de l’homme dont s’émerveillent au début de ce livre mes deux jeunes
voyageurs.En fait, si cet élan chaleureux et fier se sent à chaque instant dans
les textes, comme ceux-ci l’ont senti dans l’art même, on comprend mieux en
lisant les textes qu’il ne faut à aucun prix considérer ces Grecs de l’Athènes antique, comme des
optimistes béats croyant que tout va bien pour l’homme et s’en
félicitant : car cette impression de grandeur qu’ils suggèrent au premier
abord, et qui se rencontre en fin de compte à chaque moment, est liée
étroitement – on l’a vu – à l’idée d’une vie difficile, qui est menacée tout
ensemble par des dieux inégalement bienveillants entre eux et avec les
hommes ; et par les périls que suscite leur propre nature, imprudente,
aveugle, égoïste, et capable à chaque instant
de tout faire échouer. Le lumineux mérite de la pensée de la Grèce d’alors est
d’avoir eu le désir passionné de dominer cette situation, et de se vouer à un
idéal supérieur qui serait quelque chose de durable et de beau. Le sens de la
grandeur humaine est un but, une conquête, un effort toujours renouvelé auquel
un homme digne de ce nom doit consacrer toutes ses forces : là résident
les chances de succès, comme on l’a vu à Athènes, à ce
moment-là.
L’écho de ce succès s’est répandu dans les
siècles qui ont suivi et il a pénétré la littérature de bien des pays.
Je devrais ajouter que je n’ai cité ici que
des traductions. Or, l’intérêt des anciens Grecs pour le langage compte aussi,
et compte beaucoup. Et là encore il y a comme un modèle : on ne peut pas
avoir confiance en l’homme sans respecter aussi le langage, avec lequel
s’expriment son désir, sa confiance, son dévouement, bref tout ce qu’il est ou
veut être. Cette préoccupation peut rejoindre le thème de la grandeur de
l’homme et doit se joindre à mon souci actuel de défendre une dernière fois mes
idées.
En effet il est temps de l’avouer, je suis
très vieille, âgée de plus de quatre-vingt-quinze ans, et j’ai vécu au contact
de ces auteurs grecs pendant au moins quatre-vingts ans ; et je dois dire,
moi, à mon tour, l’espèce de force et de lumière, l’espèce de confiance et
d’espérance, que j’en ai toujours retirées. J’ai transmis la beauté de ces
textes, et je suis sensible, à la fin de ma vie, au fait que beaucoup de mes
élèves d’alors, tant d’années après, s’en souviennent et en ont tiré quelque
enthousiasme. Mais je dois dire aussi, naturellement, qu’il m’est cruel de voir
aujourd’hui se répandre une tendance à s’en désintéresser : cela est
surtout grave parce que nous vivons une époque d’inquiétude, de tourments, de
crise économique, et – par suite – de crise morale. Il me paraît qu’aucune époque
n’a eu davantage besoin de notre littérature grecque ancienne, du talent qu’ont
eu les auteurs pour exprimer ces idées, pour nous offrir cet exemple de
réussite, et pour s’émouvoir de diverses façons de toutes les merveilles que
représente l’existence humaine en dépit des difficultés et des désastres. On ne
se rend pas habituellement compte de tout ce qu’apporte, moralement, le contact
avec ces textes ni de la confiance renouvelée qu’ils nous inspirent. Cela est
vrai de toutes les œuvres littéraires et cela était l’un des rôles de la
littérature à travers les siècles, sauf au Moyen Âge peut-être, et sauf
maintenant en tout cas. Et il m’a semblé que c’était une dette de reconnaissance,
après avoir vécu au contact de ces textes, de faire un dernier et ultime effort
pour en dire les merveilles et pour souhaiter que, dans notre époque de
tensions, de doutes et de découragements, on se tourne vers l’étude de la
littérature et de la langue qui ne sont pas des arts superflus et visant à la
seule élégance ; pour dire aussi que, pour préparer l’homme de demain, il
est plus utile que tout au monde de lui apprendre à lire les textes, les grands
textes, et à bien connaître les moments de l’histoire humaine qui ont été
toniques et beaux, autant que les statues qu’admiraient tant au début de ce
livre nos deux jeunes gens.
J’ai eu du mal à écrire ce livre : je
n’y vois plus, j’entends très mal et ma mémoire connaît des fléchissements,
mais je voulais le faire justement parce que je suis arrivée à la fin de ma vie
et que ce message me paraît plus que jamais précieux et important. Je ne sais
si l’on m’entendra, quelques-uns peut-être ; mais du moins j’aurai essayé
et c’est comme si le dernier mot que j’écrivais était pour dire merci.
Réflexions d’un ancien
étudiant en Sorbonne
en langue et
littérature grecques
Dans
les années cinquante, étudiant en lettres classiques à la Sorbonne, j’avais été
particulièrement séduit par l’enseignement de quatre professeurs, deux en
civilisations latines : André Fontaine avec son travail sur Isidore de
Séville et la patrologie latine et Pierre Grimal avec Rome, Sénèque et Tacite,
d’autre part deux hellénistes Jacqueline de Romilly avec la guerre du
Péloponnèse et Fernand Robert avec sa collection hippocratique et ses
commentaires sur la statuaire antique au Musée du Louvre.
Chacun
d’eux, par leur approche des textes et des œuvres, et leur facilité à en révéler
les caractéristiques, ont su capter notre intérêt pour l’histoire de peuples
qui avaient vécu en Europe, en Asie et en Afrique, au cours de siècles remontant
à plus de deux mille ans.
Ils ont
su influencer beaucoup de mes condisciples et déclencher un appétit certain
pour ces civilisations et leur histoire, au point qu’une partie des auditeurs
ont investi durablement dans une recherche approfondie de ces siècles et
parfois même passé le relais de la connaissance aux générations suivantes.
Quant à
moi cet enseignement a façonné en profondeur ma conception de la vie , et déclenché
un attachement viscéral -mais aussi philosophique - à la valeur fondamentale de
la vie, et chemin faisant, à celle universelle de l’être humain et de son
bonheur.
Les
années ont passé, se chargeant d’éparpiller chacun selon ses talents et ses
chances, mais après plusieurs décennies d’activité, souvent au service du
public, la disparition d’un maître est toujours source de réflexion, de retour
sur soi et d’une prise de conscience très forte de ce que l’on doit à ces
professeurs qui ont consacré leur vie et leurs activités à l’éveil « politique
et culturel » de milliers d’étudiants, pour une recherche approfondie de
civilisations anciennes, en l’occurrence, mais combien riches encore
d’enseignement et parfois d’une actualité évidente, comme le faisait remarquer
Pierre Grimal à ses étudiants, dans ses commentaires à livre ouvert sur Tacite
– auteur pourtant réputé difficile à aborder, par sa grammaire et son style.
Aussi à
l’occasion d’une disparition comme celle de Jacqueline de Romilly, qui n’a eu
de cesse d’étudier l’implantation et l’évolution de la démocratie en terres
grecques, puis plus largement en Occident, la prise de conscience progressive
des peuples pour l’organisation nécessaire des rapports politiques entre les
individus et celle des relations fondées
sur le droit pour la sauvegarde de la liberté et de l’indépendance, on peut se
féliciter d’avoir bénéficié de la chance d’un tel enseignement au démarrage de
la vie.
Lors de
la publication récente de deux ouvrages de Jacqueline de Romilly, le premier
intitulé Le trésor des savoirs oubliés
en 1998, et le second Les révélations de
la mémoire en 2009, j’ai eu l’occasion de lui faire parvenir un essai
consacré à La philosophie d’une veille du
XXème siècle, comme dans un modeste écho, et en dédicace pour la remercier
de ses travaux sur Thucydide qui m’avaient ouvert largement l’accès aux grands
auteurs grecs et latins ; j’y avais joint, non sans audace, un poème qui
chantait l’amour d’Aphrodite, « archétype apprivoisé, impénitente ».
Peu de
temps après, en octobre 2010, j’avais reçu avec grand bonheur une carte de l’Académie
française disant : « les fonctions que vous occupez paraissent bien
sérieuses à côté de l’inspiration de votre poésie. Je suis contente de l’avoir
et la garderai avec gratitude ». signé Jacqueline de Romilly.
Quand
on sait ce que les expressions « je suis contente » et « avec
gratitude » représentaient pour elle, on ne peut qu’être heureux, fier et
combien redevable à cette grande dame qui vient de nous quitter.
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Joseph Hüe
Le berceau de ma culture
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1 .
Archétype
Aphrodite redécouverte
Près du temple de Mélos
Dans un champ du laboureur
Une vierge marmoréenne
Sort de sa gangue,
Recomposée
Presqu’intacte
Le front pur, sous la chevelure ardente,
Encore nouée,
Nommée par le navigateur
L’amour de Zeus
Et de la conjugaison des amants
Le temps bénit d’avant
Les ruses du doute
Et les affres de la séparation.
Vénus est là debout, sublime
Emergente de la mer
Triomphe de l’argile
A peine dénudée, devant le voyageur.
L’artiste anonyme a retenu la robe
Elle se délie déjà
Sous les doigts virtuels de la main
disparue,
Invite à de nouvelles amours
Archétype apprivoisé, impénitente.
____________________
1.J. de Romilly – œuvres (inventaire partiel) :
Les Belles Lettres : Thucydide édition et traduction (5 vol) –
Thucydide et
l’impérialisme athénien - La loi dans la pensée grecque.
PUF : La tragédie grecque.
ENS : L’invention de l’histoire politique chez Thucydide.
Fallois : Pourquoi la Grèce ? – Alcibiade – Le trésor des savoirs
oubliés - La Grèce antique contre la violence - Sur les chemins de sainte Victoire - Les
révélations de la mémoire.